lundi 30 mars 2009

A l'heure d'été : soir

  Eh bien, comme une série temporelle de deux mesures  est très insuffisante pour avoir des analyse fiables, c'est reparti pour un tour!

Ce soir, 18h40. Je monte en courant les Escalators de la gare Montparnasse. Ouf, j'ai dix minutes devant moi pour trouver le quai du train et y monter. Tout juste, mais ça passe!

Ce soir, 18h50. Mon élan s'étouffe mollement dans la foule compacte  de voyageurs fatigués et las, amassés sous le grand panneau d'affichage du hall de la gare. On dirait un peuple venu adorer ses dieux .... et n'ayant pas trouvé le temple  à sa place habituelle. Perplexité, colère, étonnement, rage et puis.... épuisement total.  Les trains devant partir à 17h55 ne sont même pas encore annoncés! Les cases où s'affichent les numéros des quais restent désespérément vides! 

Ce soir, 19H10. Un sandwich à la main, je cherche une place dans le salon "grand voyageur". A l'écran des départs les messages de retard clignotent à coté des numéros de trains: 30 minutes, 40 minutes, 1h00. Le mien est dans la liste aussi : départ prévu  à 18h50. Pas de message  de retard. Tiens, une nouvelle donnée dans mes statistiques:
20 minutes après le départ prévu n'est pas un retard
Ce soir, 19h30. Ça y est! Mon train est aussi annoncé avec un retard! De 30 minutes. Nouvelle donnée:
retard de 30 minutes = 40 minutes
Ce soir, 19h55. Toujours un retard de 30 minutes annoncé. Ce qui rassurant c'est qu'il n'est pas annulé. Avec l'horaire  de l'hiver, il est presque  à l'heure!
Tant pis pour les statistiques!
Ce soir, 20h00. Youpiiii! Quai 7! Il est là! Retard annoncé: 1h15! La dame du salon annonce gentiment aux voyageurs en détresse que le salon ferme ses portes. La ponctualité! 

Ce soir, 20h30. Je crois rêver, j'ai des hallucinations! Ils ont mis un truc dans mon jus de pomme! Au secours! Le train a bougé! Paris, te reverrai je un jour?  

Ce soir, 22h15. J'ouvre la porte de ma maison. Ouf. Les statistiques? 

3h15 de retard cumulés dans la journée=deux billets sur mon blog

A l'heure d'été : matin

   
 Ce matin, 7h30. Réveil en sursaut avec un mauvais pressentiment. Je regarde mon fidèle réveil, à mon service depuis voilà  bientôt deux ans, sans faille! Pourquoi il est 1h15 du matin et il fait jour dehors? Mon réveil est mort! Pas le temps de faire mon deuil: le train part à 8h06.

  Ce matin, 8h06. Mon train a été annoncé. J'attends  au bord du quai. J'entends la voix de la SNCF  qui annonce, avec son petit accent saccadé  d'automate qui essaie de ressembler à une femme: "suite à une panne électrique le train TGV en provenance de...", bref, le train que j'attends, "est annoncé avec un retard de ... 40 minutes environ". J'admire un bref instant le roulement, toujours rassurant   de la voix en fin de phrase. Quelle que soit la nouvelle annoncée, toujours une touche réjouissante et apaisante dans l'intonation automatique. Fascinant. Ma deuxième pensée: "Il n'y a pas que mon réveil qui est mort ce matin". Mais cette pensée ne semble pas me rassurer: mon amphi, départ initialement prévu à  ... 10h50, est annoncé avec un retard de ... 40 minutes environ.

  Ce matin, 8h10. J'appelle l'école. Heureusement, j'ai tout de suite la bonne personne au bout du fil. J'explique mon problème. On gère...
  -Je peux peut être permuter mon cours avec celui d'après? 
-Manque de chance, cette semaine il n'y a pas de cours après le mien. Les élèves n'attendront pas. Mais demain, mardi, il y a un créneau à 14h00. 
-Oui, mais les Tds de cette après-midi? Je ferme les yeux, je revoie mon Td, tel que je l'ai prévu. Quelles marges d'improvisation sans amphi?  Je devrais pouvoir m'en sortir. Ok. Va pour l'amphi demain. 

On gère...

  -Seulement demain j'aimerais le faire de chez moi, en visio. 5h de trajet pour une heure d'amphi, c'est trop. 
-Compréhension. 
-J'aurai besoin d'aide pour la technique en amphi. Oui, on contacte  les personnes concernées. 
On gère....

   Conclusion. Cette après-midi ce sera en live et sans filet.  Après tout, rien n'arrive par hasard. Pour se réveiller le lendemain du passage à l'heure d'été, rien ne vaut un bon coup d'adrénaline. Hmmm. Un café et un croissant seraient les bienvenus quand même. J'ai 40 minutes pour prendre tranquillement mon petit déjeuner au café d'en face. J'y vais...

   Ce matin, 9h08. Ouf, je suis dans le train. Je me demandais justement, en bon prof de maths et pour tuer le temps dans le tout petit hall de la gare SNCF de Châtellerault, à combien il fallait estimer "environ" dans les annonces de retard de la SNCF. "Environ" signifie pour moi qu'une marge d'erreur existe dans l'estimation de la durée annoncée. De combien est cette marge? En absence de toute autre donnée que mes propres observations, en voici une première mesure:
   40 minutes environ = 60 minutes
   Par un calcul dont j'épargne à mes lecteurs les détails techniques, j'en déduis que (pour cette fois) l'erreur est de 20 minutes.   Je vais l'ajouter à mes statistiques.

   Ce matin, 9h30. J'ai l'occasion inespérée de recueillir une nouvelle donnée dans ma toute fraîche série temporelle des marges d'erreurs d'estimation de durée de retard des TGVs.  Un arrêt exceptionnel  de notre train en gare de St. Pierre des Corps est annoncé. On devrait patienter environ 25 minutes. Une fois repartis, voici ma deuxième mesure:
   25 minutes environ = 5 minutes.
   Cette fois ci il me faut bien réveiller quelques neurones de plus pour réussir mes calculs. Résultats: l'erreur est de -20 minutes. Je l'ajoute à mes statistiques.

   Ce matin, 10h12. Ça roule. Un nouvel arrêt a été annoncé: "Mesdames, messieurs, dans quelques instants notre train effectuera un arrêt exceptionnel en gare de .... de 15 minutes environ". On a peut être mis 15 minutes à s'approcher à pas de loup de la gare en question (pour ne pas réveiller les habitants? ) mais on s'y est pas arrêté! J'en déduis une nouvelle mesure (quelle chance!) :
   dans quelques instants=jamais
   Hmmm. Difficile à quantifier. Donnée inexploitable. Je ne l'ajoute pas à mes statistiques.

   Ce matin, 10h20. Ça roule. S'il faut trouver dans ce retard une chose positive pour consoler les voyageurs de tous les problèmes qu'ils vont avoir à l'arrivée, ce serait une occasion rêvée de réviser nos stats. Moi, en tout cas, j'en profite! 

Par exemple,  avec les quelques données qui m'ont été offertes, je pourrais dire qu'en moyenne, les erreurs d'estimation de durée de retard des TGV sont nulles! (-20+20=0).   S'il fallait réviser en même temps les techniques de communication commerciale, j'ajouterais que c'est une très bonne performance et j'omettrais de mentionner que l'écart type  est de 20.    

mercredi 25 mars 2009

Les mathématiques, quelle histoire!

 

Il faut aux vérités de la science de belles histoires pour que les hommes s'y attachent. Le mythe, ici, n'est pas là pour entrer en concurrence avec le vrai, mais pour le rattacher à ce à quoi les hommes tiennent et qui les font rêver.Denis Guedj.. 

Je commence cet article par la citation d'un auteur, Denis Guedj, qui m'a littéralement ouvert les yeux sur la façon dont je voudrais enseigner les mathématiques. J'avais déjà quelques années d'expérience derrière moi lorsque son livre "Le théorème du perroquet" s'est trouvé entre mes mains. Su le fond d'une aventure mystérieuse et passionnante, un philosophe  se prend, petit à petit, de passion pour les mathématiques qu'il croyait à jamais hors de sa compréhension. En découvrant les richesses  de la bibliothèque  de son ami mathématicien, le philosophe reconstruit et raconte à ses neveux la fascinante histoire des mathématiques. Les théorèmes défilent dans cette histoire mêles aux vies de  leurs auteurs, à leurs passions, amours, souffrances. 

En lisant ce roman je me suis demandé: mais pourquoi on ne raconte pas tout cela aux élèves des collèges et lycées dans les cours de maths? Pourquoi pas en prépas? En cycle ingénieur? Il n'est jamais trop tard!  Nous connaissons tous l'image que donnent souvent les mathématiques aux étudiants: trop froides, trop abstraites. On les utilise comme moyen de sélection à l'école et cela ne leur ajoute guerre d'attractivité. "Il faut réussir tes maths si tu veux t'en sortir". Pourquoi ne pas apprendre à les aimer? Et pour cela il faudrait commencer par attirer  de la curiosité. Comment? En puisant dans l'histoire, pourquoi pas? 

Trop "inhumaines", les maths? Si seulement on enseignait ces théorèmes en racontant l'histoire qui les entoure? Le théorème de Weierstrasse. Ça sonne presque comme un nom commun! Mais qui était ce Weierstrasse? Qui étaient tous ces personnages qui ont contribué dans le monde entier, à toutes les époques, à construire un patrimoine intellectuel unique au monde. Un magnifique travail de la pensée humaine qui a traversé toutes les barrières que l'humanité a tant de mal à franchir en général: les siècles, les frontières entre les pays, les cultures si différentes. Si l'on enseignait les mathématiques avec ne serait ce que quelques brins de leur histoire, ça leur donnerait peut être image plus "humaine". 

Cette science,  si parfaitement logique, semble être si loin de tout ce qui compose notre humanité: les sentiments, les passions, la tragédie, le rire. Et pourtant, certaines découvertes ont provoqué des passions les plus fortes, des hommes ont sacrifié jusqu'à leur vie pour quelques formules! Et combien d'anecdotes,  calembours et aventures on peut raconter à l'occasion d'un théorème? 

Tous cela est devenu pour moi une source inépuisable d'inspiration pour glisser une petite histoire, entre deux séries de calculs au tableau. Pas facile, en prépas! Le rythme très soutenu des cours ne laisse presque pas de temps pour "raconter des histoires". Et pourtant, si on essaie...  J'ai pu constater que les élèves apprécient en général une petite pause dans le cours, le temps d'une anecdote, d'un petit portrait d'un mathématicien dont on parle. Quelques petites minutes à peine, mais elles permettent de soufler, de réveiller une attention fatiguée, de détendre l'esprit un court instant. 

J'aime raconter des histoires.Des histoires drôles ou qui font rêver. J'aime voir les yeux des élèves sourire ou briller de curiosité, ne serait ce qu'un moment. Enseigner les maths c'est comme raconter une longue histoire, histoire sans fin. 

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Quelques sites de passionés que je visite, en préparant mes cours:

jeudi 12 mars 2009

Si j'avais 13 ans...

Cette après-midi je parcourais "Le Canard enchaîné" d'hier, 11 mars, dans le RER quand je suis tombée sur deux petits articles, placés côte à côte sur la dernière page  et qui m'ont glacé le sang.   
 
 Le premier raconte l'histoire du groupe de collégiens de la région de Bordeaux  qui sont venus à Paris le jeudi 5 mars pour une journée découverte dans le cadre de cours d'éducation civique.  Après la visite du Louvre, de la Tour Eifel  et de l'Assemblée Nationale, la journée s'est terminée pour eux par une leçon  pratique imprévue. Tandis qu'ils attendaient leur TGV dans le grand hall de la gare Montparnasse un groupe d'étudiants manifestants est passé près d'eux. Les CRS sont arrivés de tous les cotés en chargeant sur les étudiants. Les collégiens, coincés au beau milieu de la bousculade, se sont pris des coups de matraque malgré les tentatives désespérées de leurs professeurs de prévenir qu'ils n'avaient rien à voir avec la manif. 
 
 Ils sont rentrés chez eux, choqués et avec des contusions. Et comme si cela ne suffisait pas, une dernière leçon leur a été servie par les communiqués officiels du ministère de l'intérieur. La ministre elle même a  déclaré: "Je suis moi-même enseignante de formation, quand on a la charge d'un certain nombre de jeunes et notamment de très jeunes, on évite de les mettre dans des lieux où il peut y avoir des manifestations et des mouvements de foule"(source: NouvelObs ).
 
 Alors finis les voyages scolaires en train car les gares ne sont plus des lieux fréquentables pour les enfants. Et si on pousse un peu, il faudrait déclarer le couvre feu dans les collèges et lycées interdisant tout rassemblement de plus de trois personnes pour éviter tout risque de manif dans les établissements fréquentés par les mineurs.  
 
Juste à coté de cette histoire, je découvre qu'au Brésil, l'archevêque de Recife dom José Cardoso Sobrinho vient d'excommunier un groupe de médecins qui a avorté une fille de 9 ans tombée enceinte de jumeaux après avoir été violée par son beau-père à plusieurs reprises. On peut d'ailleurs lire aussi l'article du Monde consacré à ce sujet. Et le beau-père, lui, n'a pas été excommunié. Ce pauvre pécheur mérite, d'après l'archevêque, la compassion car il est contre l'avortement! Le pire péché, celui qui est au-dessus de tous les autres, est pour l'église celui d'enlever la vie. Je veux bien. Mais alors comment l'archevêque, cet homme de foi sensé être humaniste avant tout, peut il ainsi diminuer l'innommable commis par ce beau-père: il a déjà enlevé la vie à cette enfant en la violant.  Les médecins, horrifiés par ce qu'ils ont vu, étaient formels: les organes d'une enfant de cet âge ne sont pas développés pour donner la vie. Cet homme n'a il pas  condamné la petite fille à une mort quasi certaine, lente et douloureuse,  en la mettant enceinte?
 
 En lisant ces deux articles je me suis rappelée une citation entendue à la radio il y a quelques jours :"Nous n’héritons pas de la Terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants". Un message écologique, oui. Mais ne devrait on pas dire la même chose de notre société? Nous, les grandes personnes, ce que nous faisons et ce que nous disons, nous le faisons devant nos enfants. Ils nous regardent, ils nous entendent et  ils ne manqueront pas d'en  tirer des enseignements. Mais lesquels? 
 
 Alors si j'avais 13 ans en lisant ces deux articles, que penserais je de l'Église et de la République? Je ferais comme la petite fille du court métrage de Pixar "L'Homme-orchestre" que je recommande chaudement.  Je ferais ma propre musique. 

mercredi 11 mars 2009

Le trac

Dans une dizaine de jours, je vais commencer un cours sur la théorie de l'information avec les élèves de première année ingénieur. Et comme toujours, à l'approche du jour J du premier amphi, je  commence à ressentir le trac.

C'est un sentiment souvent évoqué par les acteurs de théâtre: une sorte d'angoisse avant de sortir  sur la scène. Et bien je trouve qu'il y a quelque chose  en commun entre le premier instant d'un acteur qui découvre les visages de son public en sortant sur la scène et les premières secondes d'un prof qui commence un cours devant un amphi. 

Rien pourtant ne devrait me troubler à ce point à l'approche de ce cours : j'ai 8 ans d'expérience d'enseignement et ce n'est pas mon premier amphi, ce cours en particulier, je l'ai déjà fait l'année dernière, je sais donc, dans les grandes lignes comment je vais le conduire. Mais rien à faire: j'ai le trac dans le ventre. 

Qu'est ce qui m'angoisse alors? Peut être cette inconnue de taille : la nouvelle promo. Est ce que je vais réussir à les accrocher, à les emmener avec moi, à créer ce lien, invisible mais vital pour le cours entier, entre le prof et ses élèves.  Pour moi, le cours entier, avec ses amphis, ses Tds, ses examens, se joue dans cette première rencontre. Et c'est terriblement angoissant. 

Ce lien très fragile et si précieux qu'un prof crée avec ses élèves est difficile à décrire. On le sent d'instant, quand on a le dos tourné à la classe: soit on a un mur sourd et muet derrière soi, soit on a un public ouvert et réceptif. Il m'est arrivé de me retrouver dans les deux situations à plusieurs reprises. Et à chaque fois après un cours qui n'a pas marché j'avais un grand sentiment d'échec: je n'avais pas été à hauteur. 

Alors comment y arriver? Comment réussir à entraîner une centaine d'inconnus dans l'histoire que je veux leur raconter? Je suis sensée leur apprendre quelque chose.  Donc je dois arriver à les convaincre à me suivre, à  faire suffisamment d'efforts pour s'investir dans cet apprentissage.
 Et là, je me retrouve devant une question fondamentale : Ont ils envie de savoir ce que je sais?   Pourront ils trouver du plaisir  à découvrir quelque chose de nouveau? Sauront ils voir, comme moi, la beauté des maths? 

Et la réponse est... J'en sais rien! Et c'est ce qui fait la terreur et en même temps la beauté de mon métier de prof! 

Et oui, chaque année, j'entre dans l'amphi avec l'estomac noué, le coeur qui bat comme un fou, les mains qui tremblent... jusqu'à ce que je découvre les visages, je repère quelques yeux qui semblent briller de curiosité et je me lance! 

Vivement!