mardi 26 mai 2009

Apprendre par projet: début d'une analyse

Cela fait déjà un certain temps que je participe à une réflexion  initiée par mes collègues professeurs sur la pertinence et l'utilité de la pédagogie par projet dans une école d'ingénieur.  Les expériences accumulés par la pratique, plus moins positives, nous ont poussés à en faire une analyse critique et réfléchir sur les nouvelles formes de projets et sur les méthodologies de mise en place.  

Depuis, j'ai pu participer à l'encadrement de quelques projets selon une nouvelle organisation mise en place. Cela m'a parmi de faire quelques nouvelles observations  qui ont nourri les nouvelles réflexions. Cet article  sera le premier texte d'une tentative de synthèse  de différentes idées et  critiques issues  des débats  et de mes propres réflexions sur ce vaste sujet. 

C'est également une invitation à tous ceux qui s'intéressent  de près ou de loin au sujet à participer aux discussions ici. Si vous avez des expériences d'enseignement par projet à partager, vécues comme étudiant ou comme enseignant, ou si vous avez tout simplement des idées, n'hésitez pas à intervenir dans les commentaires. J'en ferai des synthèses dans les articles suivants. 

 Je signale, pour commencer, une intéressante analyse faite par Eric de Trévarez dont j'ai découvert le blog grâce à SOSéducation. Il est important à noter que sa réflexion porte sur l'utilisation de la pédagogie par projet essentiellement dans l'enseignement secondaire. Loin d'être aussi sceptique que Eric de Trévarez   je m'intéresse  aux applications possibles de pédagogie par projet dans l'enseignement supérieur et plus particulièrement celui des écoles d'ingénieur. 

Je pense en effet que dans un enseignement qui le plus souvent termine la formation d'un futur ingénieur et a donc pour objectif de le préparer à intervenir directement en entreprise la pédagogie par projets a sa place. La question est de déterminer quelle est la bonne mesure de projets dans un enseignement de ce type, quel est l'équilibre approprié entre les connaissances  et les compétences que l'on doit viser dans une formation d'ingénieur. 

Je vais donc commencer ici par délimiter le cadre dans lequel je pense mener mes réflexions  sur la question. 

Tout d'abord, il s'agit pour moi d'étudier la pertinence d'un outil pédagogique, parmi d'autres,  dans un contexte spécifique: la formation d'ingénieur. 

Cet outil peut servir à des fins différentes:
  • acquisition de nouvelles connaissances
  • approfondissement des connaissances en cours d'acquisition
  • acquisition de nouvelles compétences
  • évaluation (connaissances et compétences)
Pour moi, la forme, la construction, le déroulement, les échanges élèves-professeurs ne sont pas les mêmes selon la finalité d'un projet. 

Quels sont les critères pédagogiques déterminants dans la conception d'un projet? Voici quelques uns:
  • finalité pédagogique (par exemple, selon la liste ci-dessus)
  • degré d'autonomie des élèves
  • degré de relation avec d'autres formes d'enseignement (par exemple, projet comme méthode unique, ou comme accompagnement de cours "traditionnels")
  • apprentissages visés (connaissances, compétences etc)
  • mode d'évaluation du projet lui même et de matière concernée
Peut on tout apprendre par projet? Mon opinion est que non, pas tout? Mais il est alors intéressant de savoir distinguer ce qui se prête bien à l'apprentissage par projet et ce qui nécessite d'autres méthodes pédagogiques. Sans oublier les possibilités d'utiliser plusieurs méthodes pédagogiques dans une même matière, pourquoi pas? Quelles en sont alors les justifications? 

Enfin, il me semble évident que si l'on souhaite utiliser les projets dans une formation, le travail  de préparation  que l'enseignant doit fournir est spécifique. Un projet de se conçoit pas  comme un cours traditionnel sur la formule "cours magistral-TD/TP-examen". Peut on alors  décrire une méthodologie  de conception de projets  de différents types pour aider les enseignants à préparer et conduire  des projets réellement  efficaces? 

Même si vous n'êtes que de passage, au hasard, sur ces pages, n'hésitez pas à donner votre avis.

mardi 19 mai 2009

La motivation: la bonne vielle histoire de la poule et de l'oeuf.

Qui doit motiver qui? Est ce que professeur de motiver ses élèves? Est ce aux élèves de motiver leur professeur? 

J'ai très souvent entendu mes élèves dire, avec un soupir  de héros fatigué : "Je ne viens plus à tel cours, parce que je ne suis pas motivé" ou "Je ne fais pas mes devoirs de maths parce que ce n'est pas motivant" ou" je n'ai pas appris mon cours pour la colle parce que c'est difficile et que je ne suis pas motivé" etc, etc. Et quelles sont les raisons d'une telle démotivation? Selon le cas, on trouve des variantes, mais essentiellement,  ce sont toujours les mêmes motifs: 
  • pas intéressant
  • difficile (je n'ai pas l'habitude de travailler autant)
  • trop abstrait
  • on ne voit pas à quoi ça sert
  • je n'ai pas compris au début, alors maintenant je suis largué
  • moi, je veux la moyenne, alors pas besoin d'en faire autant 
Et presque toujours : "C'est la faute au prof!". 

D'un autre coté, il m'est arrivé maintes fois de voir un prof sortir de sa classe épuisé, abattu presque, désespéré, vidé. Moi même, j'ai vécu cela plusieurs fois. Rien de si difficile qu'affronter une classe qui ne veut pas apprendre ce que vous lui racontez. Un mur, droit, dur, froid devant vous. Si on n'arrive pas à le briser, on en sort pressé comme un citron. Et pas très envie d'y retourner le lendemain! "Ces élèves ne me donnent plus envie de travailler!". 

Pourquoi? On pourrait se dire que dans l'enseignement supérieur, dans une classe prépa ou une école d'ingénieur on ne devrait pas observer ces situations. On ne devrait plus du tout se préoccuper des motivations des uns et des autres. Car, normalement, l'élève qui se trouve sur les bancs d'une école d'ingénieur ou d'une faculté, y est par choix. S'il est vrai que le primaire et le collège sont obligatoires, l'élève ne choisit pas d'y aller, la poursuite des études est un acte de choix de sa part. il est donc sensé avoir naturellement un objectif à atteindre; son choix est en soi une motivation suffisante pour travailler, franchir les difficultés, prêter de l'intérêt aux matières enseignées. 

Cependant, si l'on regarde de plus près, les choses ne sont pas aussi simples.  Ce que l'on considère comme un choix de formation  est plutôt dans la plupart des cas un pari sur son futur. L'étudiant fait un pari que telle ou telle formation lui plaira et assurera un bon métier plus tard. Il ne choisit pas de faire des maths, des probas, de la programmation etc. Il ne peut pas car les contenus des cours proposés ne signifient pas grand chose pour lui au moment où il se décide pour sa formation. 

Alors, une fois dedans, il peut être normal que l'élève pose la question: mais pourquoi dois je apprendre ceci ou cela? La réponse standard pour les maths consiste à dire: "Il faut faire des maths parce qu'un ingénieur doit être fort en maths". Cela  aura un certain effet de déjà vu. L'élève en retiendra que "pour être chef, il faut avoir fait des maths". Chez les primates, le mal dominant tape régulièrement sur tout ce qui bouge pour montrer aux concurrents qu'il est le plus fort. Chez les homo sapiens civilisés, l'ingénieur dit :"Moi, j'ai fait des maths en prépas et en école d'ingénieur, et j'ai survécu! Je suis plus fort que toi!". 

Ce genre d'arguments, aide à subir les cours et les examens  mais ne motive pas trop à apprendre. Il serait donc justifié de la part des enseignants d'investir dans la recherche de moyens pédagogiques favorisant l'intérêt réel pour leur cours. 

D'un autre coté, un certain esprit de consumérisme vis à vis des études se repend de plus en plus chez les étudiants et au moment où ils arrivent dans une école d'ingénieur il devient très difficile de le surmonter. A tel point, que les profs les plus passionnés en viennent à baisser les bras parfois devant l'argument massue : "A quoi bon me casser la tête à comprendre si ça ne fait que 2 points dans un examen?! j'aurai la moyenne quand même!".  Pour éviter ce genre de répliques, un effort de prise de conscience par l'étudiant lui même sur ce qui est en train de faire là, dans cette école, est une condition minimum pour sa réussite. 

Si l'on considère l'enseignement non pas comme une communication à sens unique (professeur->élève) mais comme un échange, la question de motivation trouve sa solution. Dans cet échange, chaque partie a ses propres objectifs mais chacun doit être conscient d'un intérêt commun: faire en sorte que l'échange dure le temps nécessaire pour atteindre les objectifs. Alors chaque partie a intérêt à nourrir, soutenir, relancer l'échange. Chaque partie, professeur et l'élève, a donc intérêt à "motiver" l'autre. Cela suppose tout de même quelques conditions: une prise de recul, une remise en question de soi et un esprit de coopération plutôt que d'opposition. 

Le paradis est encore loin....

lundi 18 mai 2009

Pédagogie dans l'enseignement supérieur

Comment devient on enseignant dans le supérieur? Le plus souvent, après des études de doctorat dans la discipline de son choix. 

Que devient on après un doctorat? Le plus souvent, enseignant  du supérieur (université ou grandes écoles). 

Alors il serait logique, pendant les études de doctorat, d'apprendre au moins quelques rudiments du savoir faire d'enseignant, de la science pédagogique. 

Et bien, non! Ni pendant ni après!  Le jeune enseignant-chercheur fraîchement recruté à un poste tant convoité sera jeté la tête la première dans  la cage aux lions avec pour objectif de leur transmettre le très grand savoir dont il désormais certifié détenir tous les secrets. Et débrouille-toi si tu veux en sortir vivant. C'est vrai que la plupart des thésards font quelques heures d'enseignements pendant leurs thèses (monitorat, ATER etc). C'est tout? Mais qui leur apprend COMMENT faire? Personne. 

J'ai vécu ça moi même. Pour ma part, je ne regrette pas une seule seconde le grand plongeon. Je me souviens encore, comme si c'était hier, de mes tout premiers instants devant une classe de 40 élèves ingénieurs. Je VOULAIS enseigner. Mais j'étais loin de m'imaginer ce que c'est au quotidien. Et je pense qu'une formation en didactique  et science pédagogique m'aurais au moins permis d'éviter un certain nombre d'erreurs bêtes. 

Visiblement, dans le monde d'enseignement  supérieur, on estime qu'il suffit  d'être expert de haut niveau dans  une discipline (décrocher  son doctorat, par exemple) pour être qualifié pour transmettre  son savoir. A ce principe  je voie  deux objections de taille. 

La première est que lorsqu'on fait un doctorat, on devient, certes, expert mais sur un sujet très très pointu, loin des sujets que l'on enseigne habituellement aux élèves tout juste sortis de leur bac ou de leur prépas. Par exemple, le sujet de ma thèse portait sur la théorie spectrale des opérateurs discrets  de Schrödinger à potentiels périodiques et quasi-périodiques. J'en savais un paquet sur le sujet après 4 ans de recherches exclusivement dédiée à cela. Une fois la thèse passée, j'ai commencé en tant que prof  en école d'ingénieur  avec: 
  • mathématiques pour ingénieur
  • commande optimale
  • analyse numérique
  • théorie du signal
  • automatique
  • probabilités
  • etc
Bref, rien à voir avec ma thèse. Oui, j'ai atteint un niveau de maîtrise en mathématiques qui me permettait  de résoudre sans moindre mal tous les exercices que je devais faire faire aux étudiants. Et alors? Strictement parlant, cela signifie que j'étais qualifiée à leur montrer comment moi, je faisais. Peut on estimer que cela est suffisant pour apprendre quelque chose à quelqu'un? Mon cas n'est pas unique. Un jeune maître de conférences n'enseigne pratiquement jamais ce qu'il a fait dans sa thèse. Et il n'a aucune idée de COMMENT faire pour que l'autre, l'étudiant, comprenne ce que lui même a réussi à comprendre un jour. Et débrouille toi si tu veux en sortir vivant! 

La seconde objection découle de la première. Si le diplôme de doctorat certifie un certain niveau de maîtrise d'une discipline, au sens large, et une expertise  sur un sujet particulier de cette discipline, rien n'est  prévu dans le système pour former le jeune chercheur au métier d'enseignement.  Il suffit donc d'avoir compris soi même quelque chose pour l'enseigner aux autres? Faux! Lorsque notre jeune chercheur a été lui même étudiant, s'il a réussi dans une matière, s'il a compris quelque chose, il ne s'est jamais posé la question "comment?". Comment le prof a fait pour qu'il comprenne? Comment lui même a fait pour comprendre?

 L'enseignement est une science et un savoir faire. Il y a des méthodes, des techniques, des approches. Enseigner c'est aussi savoir établir un contact avec un groupe d'individus ayant chacun leur volonté, leur motivation, leur façon d'être. Enseigner c'est forcément établir un contact humain avec ceux qui vous écoutent. Et personne n'apprend rien de tout cela  aux jeunes chercheurs! Comme si enseigner consistait à réciter devant des chaises vides ce qu'on a soi même retenu de ses propres études! 

Pas étonnant que l'enseignement est souvent vu comme un fardeau par les enseignants chercheurs.  Le fait que les enseignants ne sont pas formés est pour moi en partie responsable du taux d'échecs élevé en première année de fac
Le système ne semble pas vouloir reconnaître que le statut d'enseignant-chercheur n'a de sens que si c'est un véritable statut à double compétence: celle de chercheur et celle d'enseignant.  Pour nous donner un exemple,  voici comment les universités canadiennes  voient la question. En aidant leurs enseignants à faire leur métier. Pourquoi pas nous? 


vendredi 15 mai 2009

Chroniques d'une aventure immobilière en pleine crise. A qui profite la crise?

Et voilà, passé l'épisode de quarantaine médiatique suite à une infection grippale psychosomatique mondiale, c'est reparti pour un tour sur La Crise! 

A tel point que la crise est devenue prétexte à tout.  Prétexte commode pour refuser du boulot aux jeunes.  Prétexte à séquestrer des gens à la chaîne. Prétexte surtout à la bêtise impunie! 

Il se trouve que nous avons une maison à vendre. Eh, oui, je sais,  en pleine crise! Qu'est ce qui nous a pris de décrocher un boulot intéressant et de déménager juste avant que "THE BIG CRISE" arrive? 

Comme le malheur n'arrive pas seul, voilà qu'un problème survient sur le système de chauffage pendant les fortes gelées de l'hiver dernier. Pas facile d'organiser les réparations quand on est à 400 km. Mais bon, on décroche le téléphone et on contacte les entreprises spécialisées. 

Tiens, il parait que le bâtiment est l'un des secteurs les plus touchés par La Crise. Ils n'ont pas de boulot! C'est dur pour les artisans du bâtiment! Les clients particuliers n'ont plus d'argent non plus. Ils préfèrent rafistoler leurs tuyaux crevés eux mêmes! Et voilà qu'un pigeon les appelle: il a besoin d'un devis de réparation de son système de chauffage. Que croyez vous qu'ils font? Cela fait un mois que nous attendons qu'un plombier de l'entreprise en question passe dans  notre maison! C'est la crise, évidemment! Ils sont débordés à force de se lamenter et pleurnicher et demander des aides à l'état!

Pendant ce temps, notre aventure immobilière continue, malgré La Crise!

Bien sûr, les fuites d'eau n'ont pas embelli la maison. Voilà que notre agent immobilier, en charge de la vente, nous appelle. Il vient de faire visiter la maison (une visite en deux mois)  au vétérinaire du coin qui apprécie son emplacement, bien en vue. Seulement le vétérinaire a trouvé le prix bien élevé pour construire sa clinique à la place! Crotte de puce! Je rappelle à l'agent  que nous ne vendons pas une baraque à casser, mais une maison  entièrement rénovée il y a à peine trois ans, qui a un certain cachet et qu'il n'est pas question de la vendre à quelqu'un  qui va la raser pour faire une clinique en béton à la place!  

"Oui, oui" me dit l'agent. Et il enchaîne : "Je pense que tant que vous n'avez pas fait nettoyer les dégâts des eaux, il est préférable de ne pas faire visiter votre maison. Ça vous fera perdre des clients, vous comprenez." Alors là, je n'ai pas compris du tout. J'aimerais qu'on m'explique comme cet agent compte me faire gagner des clients s'il ne fait pas de visites du tout? Il m'explique: "Quand la maison est impeccable, cela donne une bonne impression. Mais quand on voit les saletés, le client se méfie". Alors je commence à comprendre: "Quand la maison est impeccable, lui, l'agent, n'a rien à faire. Il amène le client. Et il empoche le chèque des commissions. Pas besoin de réfléchir pour trouver des arguments, défendre les intérêts du vendeur qui lui a confié la vente, expliquer, rassurer l'acheteur, inciter  et animer les négociations, conseiller les deux cotés. Bref, la vie en rose!".  

Secteur en crise, dites vous? Je crois que certains ne l'ont même pas remarqué!