samedi 21 novembre 2009

La peur de l'abstrait

Une fois de plus j'observe cette année un curieux phénomène dans l'approche qu'ont mes élèves des mathématiques. J'enseigne en ce moment un cours sur les équations différentielles. Une première partie de ce cours est consacrée aux méthodes classiques de résolution. On y apprend à construire des solutions des équations différentielles sous forme de séries ou d'intégrales de Fourier. J'ai observé que, petit à petit, après quelques premières séances, les élèves prennent confiance et assimilent relativement bien le cours.

Mais voilà que, depuis deux semaines, nous avons abordé une deuxième partie du cours, consacrée à la théorie des distributions. Une théorie qui permet d'avoir un regard plus global sur la notion de la dérivée et sur les équations différentielles. Il s'agit de changer de formalisme. De remplacer le cadre d'analyse classique, basée sur la notion de la limite en un point, par celui de l'analyse fonctionnelle qui permet de travailler avec les outils de topologie des espaces vectoriels.

Et là, j'ai senti un changement radical dans l'attitude des élèves vis à vis du cours. J'ai l'impression que le fait d'évoquer un formalisme plus abstrait provoque chez eux un refus d'adhésion, un blocage. Je sens qu'ils ne veulent pas me suivre dans cette nouvelle voie. Mais pourquoi?

A première vue, on pourrait dire que ce qui est abstrait a pour premier effet de repousser l'esprit. En effet, faire abstraction de la nature physique ou autre des objets et des phénomènes étudiés nous prive de nos repères sensoriels, de nos intuitions empiriques. Cela peut ressembler au fait d'être privé de vue brusquement pour quelqu'un qui voit. Mais ces mêmes repères, ces intuitions empiriques, le plus souvent inconscientes, nous empêchent souvent de voir au-delà de ce qui est palpable.

Or, c'est en faisant l'abstraction de la nature des objets que nous libérons notre pensée pour voir enfin les similitudes, les généralités et les propriétés communes dans les choses très différentes. Par exemple, une fonction mathématique permet de représenter toute relation, toute correspondance. Ainsi, la distance qui me sépare du point d'arrivée lors d'une promenade et la température de l'air dans une pièce sont des fonctions. Alors la vitesse de marche ou les variations de la température sont des dérivées des fonctions respectives et obéissent aux mêmes lois mathématiques, peuvent être analysées selon les mêmes règles de raisonnement.

Certes, l'abstraction demande un effort intellectuel et un temps d'adaptation, pendant lequel notre esprit crée de nouveaux repères nous permettant au final d'être à l'aise dans ce nouveau monde, peuplé de concepts au lieu d'objets palpables. Une fois cette adaptation passée, nous ne nous apercevons même pas que nous manipulons certains objets abstraits. Ainsi, mes élèves qui trouvent les distributions "trop abstraites" ne réalisent même plus que les fonctions, les dérivées, les séries sont des notions abstraites. Elles leur sont si familières, qu'elles passent pour presque réelles.

Donc ce n'est pas l'abstrait en soi qui repousse, c'est probablement cette phase intermédiaire d'adaptation, pendant laquelle on a l'impression de plus rien comprendre.

Enseigner et donc apprendre ce qui est abstrait est aussi plus difficile. Il ne suffit pas de répéter, mimer ce qui est dit par l'enseignant, comme on apprend une méthode de résolution d'un certain type de problèmes. Il ne suffit pas d'apprendre par coeur, comme on apprend la table de multiplication ou une formule. Pour s'approprier un nouveau niveau d'abstraction l'élève doit faire le chemin tout seul. Le rôle du professeur est de l'accompagner, lui indiquer la marche à suivre, dégager la route. Tant que la construction intérieure de l'abstraction n'est pas véritablement faite, on reste devant les mathématiques comme devant un tableau abstrait: on ne voit vraiment pas ce que toutes ces couleurs sont sensées représenter. On ne peut le voir que si on a réussi à parcourir le même chemin d'abstraction que l'artiste.


On ne choisit pas d'être au chômage

Lundi dernier un reportage sur France Info a attiré mon attention. On parlait de la reconduite de la prime de Noël cette année. Cette prime est versée depuis 1998 aux chômeurs bénéficiant du RSA et d'autres allocations. Dans le reportage on entendait la réaction d'un responsable d'un association de chômeurs (malheureusement, je n'ai pas retenu, laquelle ). Le brave homme disait que c'était déjà bien à prendre, les 152 euros de la prime, mais qu'il fallait surtout revaloriser toutes les allocations de chômage, pour que les chômeurs puissent vivre décemment. Et il ajoutait ensuite que la prime, ils la réclamaient à 500 euros. Et, en guise de justification ultime de son propos il a dit: "Parce qu'on ne choisit pas d'être au chômage". C'est justement cette phrase qui m'a donné envie de réagir.

Tout d'abord, parce que ce n'est déjà pas vrai: dans certains cas, rester au chômage peut devenir un choix. Certes c'est un choix du moindre mal, par rapport à un travail si mal payé que même les maigres allocations de chômage permettent de mieux survivre à la famille. Mais si on revalorise sans cesse les allocations, sans réformer véritablement le marché du travail, si les allocations de chômage permettent de vivre décemment, alors que le travail ne le permet plus, le chômage risque de devenir un choix, un vrai choix de facilité.

C'est pourquoi il me semble inutile et injuste de dépenser autant d'efforts et de moyens à lutter pour une revalorisation des allocations de chômage sans une réflexion approfondie sur les conditions de recherche et d'obtention d'un emploi.

En France, on a l'impression que les syndicats vivent dans leur bulle complètement déconnectés des besoins réels: ils continuent à lutter pour les mesures de maintient des emplois en ignorant l'impasse dans laquelle se trouve le marché du travail. L'esprit qui domine les discours est celui d'il y a trente ans, quand on faisait le même travail pendant toute sa vie. Tout le système français de législation de travail est bâti sur le principe de protection maximale de ceux qui ont un emploi, au détriment de ceux qui en cherchent un. Perdre un travail est une catastrophe car, tout le monde le sait, il est très difficile d'en trouver un, de changer de voie, de refaire une autre carrière.

A mon avis, si on ne veut pas que le chômage devienne un choix, il est important de redonner de la valeur au travail et d'assouplir le marché de l'emploi en France.

samedi 14 novembre 2009

Le statut d'autoentrepreneur: un décolage réussi... en jetant du leste?

Me voici remontée à la surface pour le week-end.

Avant d'aller ramasser les feuilles tombées (eh, oui, il y en beaucoup dans mon jardin!) je fais ma tournée bureaucratique hebdomadaire. Cette semaine, elle n'est pas drôle du tout: non seulement ce week-end on paie nos taxes d'habitation, mais en plus, je dois signer quelques chèques bien dorés à destination de l'URSSAF, RSI, CIPAV et autres noms de caisses imprononçables car voilà un peu plus d'un an que j'exerce une activité professionnelle en tant qu'indépendant. J'aimerai bien, moi aussi, annuler cette distribution d'argent pour cause d'impossibilité d'assurer la sécurité, ou pour toute autre cause d'ailleurs. Mais quelque chose me dit que cela nous coûterait encore plus cher in fine.

Donc, je signe. Chaque chèque signé ravive en moi un sentiment d'injustice et une forte impression de m'être fait avoir. Et voilà pourquoi.

C'est en septembre 2008 que les choses ont changé pour moi sur le plan professionnel. J'ai dû quitter mon poste d'enseignant permanent mais je ne voulais pas pour autant abandonner l'enseignement. Il était donc question de devenir vacataire. Petit à petit l'idée de m'installer partiellement à mon compte a fait son chemin. Je me suis donc mise à éplucher les différentes documentations et guides pour les novices comme moi en la matière. Je me suis vite rendu compte que la formule la plus adaptée à mon cas serait la micro-entreprise: pas de TVA, pas d'obligation de tenir une comptabilité compliquée.

On parlait aussi beaucoup du nouveau statut annoncé en grande pompe par le gouvernement: celui de l'auto-entrepreneur. Il devait devenir officiel à partir du 1er janvier 2009. Il promettait de simplifier les procédures et offrir un certain nombre d'avantages : le seuil sur le chiffre d'affaires plus élevé que pour la micro-entreprise (32K€ au lieu de 27 K€ par an) et surtout le paiement des prélèvements sociaux et autres charges en fonction du vrai chiffre d'affaires du moment. C'était le plus intéressant! En effet, pour touts les autres régimes, les charges que l'on paie l'année "n" sont calculées sur le chiffre d'affaires réalisé l'année "n-2". Pratique, non? Et quand on débute et qu'on n'a pas encore réalisé de chiffre d'affaires "n-2", on vous l'invente, au forfait! Donc, quand on débute une activité, même si on n'a pas encore réalisé de contrats, on a déjà des charges à payer. Et ce n'est pas toujours facile à supporter. Avec ce nouveau statut les choses seraient simplifiées. A tel point même que la phrase "pas de chiffre d'affaire, pas de cotisations" est devenue presque le slogan de promotion de cette nouvelle mesure du gouvernement.

Alors, en septembre 2008 j'ai beaucoup hésité à attendre jusqu'en janvier 2009 pour pouvoir opter pour cette solution, bine plus avantageuse. Mais le travail, lui n'attendait pas, et surtout, toutes les sources officielles d'information à ce sujet étaient formelles: tous ceux qui seront déjà en activité en 2009 pourront changer de statut.

J'ai donc déclaré en bonne et due forme mon activité dès le mois de septembre 2008, avec une ferme intention de changer en 2009 de statut. Et voilà que la désillusion arrive.

Aujourd'hui on entend surtout des auto- congratulations du gouvernement au sujet du lancement de la formule "auto-entrepreneur": grand succès, déjà plus de 300 000 déclarations enregistrées, "vous voyez, ça marche!". Cela cache tout de même une réalité qui n'est pas si rose. Une partie de travailleurs indépendants a été "oubliée".... ooups.

Les problèmes pour les professions libérales ont commencé dès le début :

"A l'évidence, le nouveau statut d'auto-entrepreneur connaît un premier couac puisque les professions libérales ne peuvent pas relever de ce statut, à l'exception marginale de celles qui dépendent du régime social des indépendants pour la branche retraite.

Pour résoudre cette difficulté, l'Assemblée Nationale a adopté, le 13 janvier 2009, le projet de loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés qui comprend un amendement devant permettre aux professions libérales relevant de la CIPAV (Caisse Interprofessionnelle de Prévoyance et d'Assurance Vieillesse) de pouvoir opter pour le statut d'auto-entrepreneur." (Le post, le 15/01/09).

Le dit amendement a été voté fin janvier, mais le problème n'a pas été résolu complètement. Seuls les "nouveaux créateurs" pouvaient opter pour ce régime miracle. Pas ceux qui étaient déjà en activité. Les réponses sont très claires sur www.lautoentrepreneur.fr, le portail officiel des auto-entrepreneurs:

Je suis déjà artisan ou commerçant. Est-ce que je peux bénéficier du statut d'auto-entrepreneur ?
Oui. Si vous êtes au régime fiscal de la micro entreprise, vous pouvez opter pour le régime micro-social simplifié et éventuellement pour le versement libératoire de l'impôt sur le revenu avant le 31 décembre 2009 pour une application à partir du 1er janvier 2010.
Cependant vous n'êtes pas concerné par la dispense d'immatriculation au RCS ou au RM.
J'exerce une activité libérale. Est-ce que je peux bénéficier du statut d'auto-entrepreneur ?
Non, actuellement le dispositif n'est ouvert qu'au professionnel libéral relevant de la CIPAV et créateur à partir du 1er janvier 2009.

Une association a été créée, Collectif Libéraux, pour tenter de réparer cette injustice. Au dernières nouvelles que l'on peut lire sur leur site, les efforts ont été vains. Ainsi, tous ceux qui, comme moi, on déclaré une activité indépendante en tant que profession libérale (enseignants, architectes, ingénieurs, conseillers etc) sont autorisés à aller gentiment se faire cuire un oeuf, à défaut de pouvoir mettre du beurre dans leurs épinards. Il n'y a pas de beurre pour tout le monde. Circulez!
Je n'aime pas les oeufs.



dimanche 8 novembre 2009

We all live in a Yellow Submarine

En ce moment, je passe mes semaines en immersion totale dans les eaux profondes de l'océan Du Boulot. Je remonte à la surface le week-end, le temps de refaire des provisions, payer des factures, soigner mon jardin et voir comment va le monde.
Une brève escale dans le jardin, le dimanche dernier (déjà novembre!?!) m'a apporté une grande bouffée d'air frais. Le temps de ramasser quelques feuilles mortes, sentir la terre sur mes doigts, regarder s'endormir mes arbres.
Quant aux nouvelles du monde, elles me donnent plutôt envie de replonger. Voilà qu'on nous ressort des placards le débat sur l'identité nationale. Facile! Pour ne pas poser et chercher à résoudre rationnellement le vrai problème, celui de la régulation de l'immigration, un facteur de développement économique et démographique incontournable, on vire (machines toutes!) dans la psychose nationale identitaire. Et comme personne n'est capable visiblement de dire au peuple ce que c'est que d'être un bon français, on se contente de stipuler ce qu'est de ne pas l'être. Et voilà que la réponse devient facile et compréhensible pour tout un chacun: "JE suis français parce que LUI, l'Autre, ne l'est pas!". Oui, oui, toujours la même sauce, on a déjà vu ça chez les psys: l'affirmation de soi par l'abaissement de l'autre, et tralala. Il n'y a vraiment pas autre chose dans les idées?
Je zappe: l'Europe fête les 20 ans de la chute du mur de Berlin. Et voilà que Le Monde se demande très sérieusement si, oui ou non, notre président de la République a été à Berlin le jour J à l'heure H. Ah bon? Parce que cela est sensé avoir eu une influence déterminante sur le cours de l'Histoire? Et pendant ce temps ça pleut des commentaires et souvenirs de tout genre. Ceux qui m'étonnent le plus, ce sont ceux qui disent : "Certes, la population de l'est a gagné en liberté de parole et de pensée, mais ils ont retrouvé le chômage et la pauvreté qu'ils ne connaissaient pas sous le régime communiste. Ils avaient tous un emploi, un logement gratuit etc. ". Non, mais je rêve?! Un logement, gratuit? Ah oui, dans les foyers d'ouvriers: trois familles dans la même pièce, et commodités au fond du couloir, l'eau chaude le dimanche, s'il fait beau. Et on payait le loyer aussi! Et on ne pouvait pas choisir où on allait habiter, pas moyen de changer d'adresse. La famille s'agrandit? On s'entasse! On ne connaissait pas la pauvreté? Et encore comment! Mais bien sûr qu'il y avait des pauvres et des moins pauvres. Les riches, c'est vrai, il n'y en avait pas beaucoup. Parce qu'on croit qu'un peuple qui vit avec la nourriture rationnée (beurre, farine, viande, sucre, céréales) n'est pas pauvre? Non, ce n'était pas le paradis de partage de richesses et des fruits du travail qu'il y avait derrière ce mur. Ce sont des pays ruinés par des années de course à l'armement et sous perfusion de propagande qui ont enfin ouvert les yeux sur le monde qui les entoure. Ont ils pour autant retrouvé la liberté?
Bon, je sens qu'il veut mieux que je replonge, finalement. Allez, immersion immédiate et avec la musique! "We all live in a Yellow Submarine!"