Mes observations ont été limitées cette fois à un seul quartier de la ville, celui où j'ai grandi et où habite toujours ma mère. A mon époque, c'était un quartier ouvrier: les usines étaient disposées tout autour. Aujourd'hui, les immeubles d'après guerre et les "khrouschevka" (datant des années 60-70) sont en mauvais état, les rues sont mal (ou pas du tout) éclairées, les routes et les trottoirs comptent plus de trous que d'asphalte. Quand il pleut, il est litéralement impossible de traverser la rue sans marcher dans les flots d'eau. Bref, c'est un quartier plutôt pauvre.
La première chose qui m'a frappée: les enfants. Ici, à Kharkov, dans ce quartier, les yeux des enfants sont tristes, gris, graves. Ils ne rient pas. Comme les eaux d'un lac qui reflètent le ciel, les yeux d'un enfant reflètent les regards qui se posent sur lui. Les adultes non plus ne sourient pas. On a l'impression dans la rue que les gens mettent une sorte de masque pour sortir de chez eux. Ils se regardent avec méfiance.
Au beau milieu de ce quartier en ruine se dresse un grand magasin de meubles et électroménager, flambant neuf. On y trouve toutes sortes d'appareils, un peu comme chez darty et aux mêmes prix. J'y suis entrée pour voir. Si on ne montre aucun signe extérieur de richesse, les vendeurs vous regardent d'en haut avec une légère touche de mépris. Si tout même on leur achète quelque chose, on peut espérer apercevoir un léger sourire.
La jeunesse m'a paru précaire, fragile et surtout, courte. Pour les filles, le meilleur moyen de s'en sortir reste le mariage. A la façon dont elles s'habillent, à la démarche, au regard, on voit que tout est fait pour trouver un bon parti pour "se caser" le plus rapidement possible. Seulement, une fois mariée, leur jeunesse, leur beauté flétrit à vue d'oeil et les horizons se referment devant. Celles qui réussissent tout de même à faire carrière, à se réaliser dans la vie professionnelle, ont le plus souvent du mal à avoir une vie familiale stable et équilibrée. Les moeurs n'ont pas beaucoup changé depuis mon départ et il m'a même semblé qu'elles ont même régressé. J'ai dit à mon ami qui m'accompagnait pour un tour dans le quartier, que je n'aurais pas supporté un tel sort réservé aux filles. Il m'a alors répondu: "Toi, c'est sûr. Dans notre bande de copains à la fac, tu as toujours été "un copain" à nous".
Globalement, j'ai eu le sentiment que les gens étaient litéralement écrasés par la crise qui a eu un impacte immédiat dans ce pays sans gouvernement qui commencait tout juste il y a trois ans à retrouver quelque espoir. Ils n'espèrent plus, ils vivent au jour le jour.
C'est difficile à voir et cela ne se voit pas de loin, d'ici, de la France. Et pourtant, ça aide à relativiser ce qui nous arrive ici et à prendre conscience de la chance que nous avons.
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